au peu de culture ça fait pas de mal
Gérard Gasiorowski
Né le 30 mars 1930 à Paris, mort le 19 août 1986 à Lyon.
Gérard Gasiorowski fréquente École des Arts Appliqués de 1947 à 1951 et commence à peindre en 1951, il manifeste un vif intérêt pour l'histoire de l'art et (ouvrage, "L'histoire de l'art", par Élie Faure devient sa bible, et ce jusqu'à la fin de sa vie. Ce n'est que dans les années 60 qu`il fait sa véritable entrée dans le milieu de l'art après avoir interrompu pendant dix ans sa création artistique. Il ne reste apparemment aucune trace des travaux exécutés entre 1951 et 1963.
De 1964 à 1970 très marqué par le Pop'art, Gasiorowksi pratique à l`acrylique, en noir et blanc, et au pinceau la reproduction d'images photographiques à la facture neutre, qu'il organisera par la suite en séries intitulées : C'est à vous Monsieur Gasiorowski, L'Approche, La fuite du côté de Barbizon. Sa première exposition particulière n`a lieu qu'en 1970 à la galerie Thelen de Essen en Allemagne. Il participe de loin au mouvement de renouveau de la figuration. Il est conscient du succès de l'hyperréalisme (Gafgen, Monory...).
Au début des années 70 alors qu'il poursuit la disparition de l'image dans La fuite du côté de Barbizon, une première fracture apparaît dans son oeuvre avec la série Les Croûtes, qu'il regroupe sous le titre générique Le délire ou les joies de 1 `orgueil (des valeurs malaisées), violentes coulées de couleur où la Peinture ne se dissimule plus sous l'apparence de la réalité.
Effrayé de cette dégradation de l'image, il en revient, en 1972, à une peinture plus mesurée, mais rythmée par la cadence convulsive de séries : les Albertines disparues. "J'ai repris avec la même technique mais sur de tous petits tableaux, au milieu, une image de vieille photographie que j'ai appelé Albertines disparues, puis je leur donnais des noms qu'on trouvait dans les personnages de la littérature française, dans Balzac ou dans Stendhal, et je leur donnais une date fictive de naissance et de mort ; je créais une sorte de mythologie, j'inscrivais déjà une sorte de saga."
En 1972/73, l'image et le format de la toile diminuent. Les Impuissances reprennent, sur des toiles d'un format 18 x 13 cm, (imagerie de gravures de dictionnaires anciens. Format identique pour Les Aires de 1973, où seul apparaît sur une surface blanche une légère trace de V évoquant le vol de l'oiseau perdu dans l'immensité de cette minuscule toile.
Sur une liste établie en 1975, Gasiorowski regroupe sous le thème plus général de Régressions, différentes séries intitulées, Étant donné l`adorable leurre, Les fleurs, Les chapeaux, Les catastrophes et Les Faux Picasso exposés à la galerie Éric Fabre à Paris.
La Guerre dès 1973 se développe avec frénésie, il s'agit pour Gasiorowski de faire la guerre à la peinture mais aussi au Monde de l'art. "Je construisis cette énorme suite, je peux dire énorme car elle m'a pris beaucoup de temps, constituée de tout l'appareil guerrier, chars d'assauts, soldats, plans, tanks, avions... le tout sur papier, la toile étant définitivement abandonnée. J'employais aussi des objets et des jouets que je maculais.
(...) Il y a aussi "les Objectifs", une mise en caisse de jouets ferroviaires que je détruis en les brûlant partiellement, le tout formant un spectacle de catastrophe. Toute cette traduction de l'horreur n'est en fin de compte que l'horreur du pictural, ce qui est en cause et n'a toujours été que la peinture, l'acte pictural est mon unique problème. «
Parallèlement, à partir de 1973 et jusqu'au début des années 80, se développent deux séries fondamentales : Les Fleurs et Les Amalgames qui tracent une véritable ligne de plaisir, s'échelonnant dans le temps et croisant d'autres séries. A côté du savoir de la main, Les Amalgames représentent le savoir, et en dressent (inventaire. Ce travail de production intense donne son sens primordial à l'existence de l'œuvre : le pur plaisir de peindre.
A la suite de ce catalogue, il se retire dans son isolement absolu jusqu'en 1982 et seuls quelques amis proches ont accès à son atelier ; il n'exposera, pendant cette période, aucune des oeuvres qu'il exécutera.
Au début de l'année 1976, Gasiorowski s'attache en effet à construire un nouvel inventaire. Il conçoit une fiction : L'Académie Worosis-Kiga (anagramme de son nom), fAWK, là encore, comme dans La Guerre, la signature disparaît, Gasiorowski n'apparaît que comme observateur de cette Académie qui reçoit ses statuts, ses ordres et, est placée sous l'autorité absolue du professeur Arne Hammer qui fonde sa pédagogie sur l'humiliation et la mortification, infligeant aux élèves artistes une cure de dépersonnalisation systématique, en imposant un unique exercice : La pratique de la représentation de son chapeau, puis il attribue aux travaux des uns la signature des autres.
Gasiorowski en observateur de l'Académie tient à jour méthodiquement des registres qu'il soumet à l'approbation de Arne Hammer sur lesquels sont consignés tous les noms des élèves, la répartition des classes, le détail du travail personnel du professeur Hammer...
Gasiorowski dénonce une collectivité qui, acceptant d'être véhiculée par le milieu de l'art, risque de sombrer dans un académisme primaire. C'est en 1972 que Gérard Gasiorowski et Adrien Maeght se rencontrent par l'intermédiaire de Jean Clair alors rédacteur en chef de L'ART VIVANT, revue éditée par Maeght,, mais ce n'est qu'en 1982, alors qu'aucune exposition de son travail n'a lieu depuis 7 ans, que Gasiorowski expose L'Académie AWK à la galerie d'Adrien Maeght qui devient son plus proche ami.
L'achèvement de l'Académie fait place à la Renaissance de la Peinture lors du meurtre du Professeur Hammer par l'indienne Kiga, c'est à travers elle que la fiction se poursuit. Le nom Kiga est formé à partir des premières et dernières syllabes de Gasiorowski, il extrait ainsi une partie de lui-même pour créer Kiga et construit autour d'elle une civilisation mythologique. Elle est la personnification de la peinture, de la pureté et de (innocence, elle est Peinture. Gilbert Lascault relate sa visite de l'atelier de Gasiorowski dans un article en 1978 : "Sur le sol, sur une grande natte, sont disposés une bougie allumée, des grandes et petites pierres en un certain nombre assemblées, une planchette de bois entourée de quatre allumettes dressées, un récipient rempli de long colliers de perles d'où sortent des bâtonnets d'un jeu de mikado (...). Dans un coin de la natte, il a placé le domaine d'Églantine, son amie. Elle y est présente sous la forme "douce, lente, un peu timide", d'un escargot. Devant elle, comme nourriture, il y a des pépins de pommes.«
Gasiorowski investit à travers Kiga tous les territoires de la création artistique et pratique avec elle le rite de la Peinture. Kiga trouve en elle-même la matière. Kiga recueille sa merde qu'elle mélange à des plantes aromatiques puis de la matière obtenue crée Les Tortues que Gasiorowski dispose dans des compositions rappelant des Pommes de Cézanne. Avec le jus des Tortues recueilli, Kiga trace sur le papier, avec les doigts, la représentation de son univers, la famille et les ustensiles quotidiens. Naît ainsi la série Les jus. Kiga disparaît silencieusement en 1981 après avoir redonné une origine à la peinture.
En 1980 Gasiorowski réorganise L'Académie AWK et assemble Les Classes, en perspective de sa première exposition à la Galerie Adrien Maeght mais aussi première exposition depuis 7 ans. "(...) je m'y trouve à l'aise, c'est une galerie pour moi, elle est adaptée à mon refus, toujours de dédier mon travail à l'argent, donc à un marché. (...) Adrien est avec moi comme devaient lêtre je l'imagine, les mécènes, c'est-à-dire que l'argent m'est donné, mais sans compensation (...) et ça, ça me laisse une liberté très grande, mentalement, et j'ai un très grand respect pour lui d'appliquer cette chose vis-à-vis de moi. (...) C'est une galerie où je peux avoir, comme dit Malraux, mon musée imaginaire ; je retrouve 1'Ecole de Paris, Mirô, je retrouve Braque, Calder, Léger, Bonnard, (...) Je suis dans une galerie-musée, en ce sens ça me rassure beaucoup, ça a pour moi une très grande importance."
Gérard Gasiorowski donne à Kiga une descendance ; ce sont Les Paysans, qui construisent une pyramide de Meules, Les indifférents qui s'attachent à explorer la nature à la manière d'un devoir de sciences naturelles. Son oeuvre retrouve enfin la simplicité du plaisir de peindre. Dans le même temps, Gasiorowski exécute Les Sables qui reprennent le travail de recouvrement largement employé auparavant et répondant à cette éternelle angoisse de protéger la peinture. Comme dix ans auparavant ( Les Croûtes, La fuite à Barbizon, Les Ponctuations...) c'est par le paysage que la peinture est prête à renaître.
Gasiorowski, en vue de la rétrospective qui lui sera consacrée en 1983 à l'ARC, entreprend de relire et réorganiser son oeuvre depuis 1964. Il constitue pour cette exposition le grand ensemble Les Amalgames, immense épopée de l'histoire de l'art mais aussi mémoire de son travail, englobant les oeuvres sur papiers de 1972 à 1982. Les Fleurs sont également assemblées et formeront à l`ARC un mur de plus de 250 peintures sur papier.
L'exposition à l'ARC se clôt par une série de grands tableaux, Les Symptômes qui marquent le retour de Gasiorowski à la toile. Puis il présente à l'exposition "Bonjour Monsieur Manet", au centre Georges Pompidou, un diptyque sur dix mètres, traversé par une ligne de peinture qui relie Lascaux et Manet. C'est à cette occasion que la ligne apparaît pour la première fois, elle sera dès lors une constance dans son oeuvre.
Gasiorowski médite alors sur toutes les plus hautes expressions de la culture universelle et sur l'origine de l'art. Il essaie de puiser l'essence du génie des grands modèles du passé (Giacometti, Cézanne, Manet, Chardin, Rembrandt, Giotto, les peintures de Lascaux). Il déroule, sur d'immenses surfaces, l'itinéraire de sa passion.
Il expose Les Cérémonies chez Adrien Maeght en 1984. "Tous axés sur un rituel, sur une cérémonie. C'est vraiment le sacré que je montre là". L'année suivante, il poursuit son travail sur la ligne dans La ligne indéfinie. En choisissant la ligne, Gasiorowski matérialise le déroulement de la peinture de ses origines les plus lointaines à aujourd'hui. Il montre aussi la volonté de relier ses oeuvres dans un tableau unique, sans fin comme le manifestait déjà l'idée de la série.
En 1986 il réalise une immense toile pour l'Abbaye de Fontevraud, Stances : "un immense chemin de peinture, une ligne d'or qui, sur quarante mètres, traversait les chambres de la peinture, les chambres de ma vie." Simultanément il expose les Ex-voto et les Commandements chez Maeght. Un seul catalogue lie ces deux expositions, à l'instar de tous les catalogues de ses expositions à la galerie Adrien Maeght, Gasiorowski le conçoit et y fait figurer, à la dernière page, cette phrase de Saint Augustin : "Celui qui se perd dans sa passion a moins perdu que celui qui perd sa passion."
A l'exposition organisée par Bernard Lamarche-Vadel : "Qu'est-ce que l'art français ?", Gasiorowski présente Six figures inintelligibles. "Cette oeuvre découle de la peinture, découle donc de Lascaux et plus particulièrement des carrés inintelligibles, sortes de damiers, première perspective, que l'on peut voir sur les voûtes de la grotte, (...). En faisant ce tableau, je réfléchissais à la mort, à celui et ceux qui viendront après moi pour maintenir l'écho de Lascaux. (...) Pour celui qui viendra après ma mort, j'ai voulu offrir du courage, lui donner de l'énergie en lui signalant d'où nous venons, de l'homme de Lascaux."
Emporté par ce flux, il exécute, en juin 1986, pour le stand d'Adrien Maeght à la FIAC, une série de grand format, une oeuvre chargée de l'espoir d'une nouvelle fécondité Fertilité. "Douze tableaux qui portent aussi un paysage très français, dans ses tonalités monochromes, où la seule ambition, le seul manque d'ambition devrais-je dire s'exprime dans le carré, cultivé amoureusement dans les règles classiques, juxtaposition ordonnée dans une construction et une mesure propres à la peinture française, au paysage français. Mais cette terre est forte d'un mouvement, d'une présence animale, d'une odeur qui la nourrit d'élans plus sauvages.(...) A tous ceux -et ce furent parfois des amis- qui ont renvoyé de mon travail une image tragique, je dis qu'aujourd'hui je travaille très vite, sans inquiétude, sans angoisse. Je suis sur 1e fleuve de 1a peinture, et tout ce que je touche est emporté par ce courant. Fertilité montre ce qu'il en a toujours été de ma peinture : un devoir que j'ai choisi, compulsif, celui de toujours tout recommencer, car c'est ma seule façon de continuer "Peinture" (...) Je ne, désire qu'une chose, que l'on dise devant ce travail : Voilà une peinture ! Désormais j'attends que la terre donne et que poussent les choses que j'ai semées. En fait, c'est une vrai culture que j'attends maintenant.
Le 19 août 1986, à l'âge de cinquante-six ans, Gasiorowski meurt à Lyon d'un infarctus.